Dans le cadre de son projet autour de l’écologie du livre, Normandie Livre & Lecture (N2L) a décidé de donner la parole à des acteurs engagés du territoire qui œuvrent à leur manière pour un écosystème du livre plus social, plus solidaire et/ou plus durable. Ils nous livrent, à travers ces interviews, des propos inspirants.
N2L a proposé à Lucie Rico, autrice du roman Le Chant du poulet sous vide prix du Roman d’Écologie en 2021, invitée dans le cadre du parcours métiers du livre, de se prêter au jeu de l’interview pour nous livrer à son tour des propos inspirants. Merci à elle.
Pouvez-vous vous présenter ?
J’ai fait des études de lettres et cinéma puis de communication. J’ai travaillé quelques années dans le marketing et l’édition, tout en écrivant et en réalisant des films. J’ai ensuite repris des études en création littéraire à Paris 8, où j’ai écrit mon premier roman, Le chant du poulet sous vide. Depuis, je me consacre à l’écriture littéraire et scénaristique et j’enseigne au master de création littéraire de Clermont-Ferrand.
Est-ce que les questions d’écologie sont présentes dans votre quotidien et/ou dans votre travail (films, documentaires, écrits) ? Vous considérez-vous comme quelqu’un d’engagé ?
Bien sûr, je pense que personne ne peut en être déconnecté. C’est une question qui me traverse tous les jours. Je ne sais pas si je me considère comme quelqu’un d’engagé. Je crois que l’engagement n’est pas, dans mon cas en tout cas, un acquis mais un mouvement, qui se met en marche face à des enjeux particuliers et ponctuels. Je dirais davantage que j’agis face à des indignations. Par ailleurs, j’aurais du mal à dire que mes livres sont engagés, même s’ils mettent en gage des comportements, et questionnent des contradictions.
Le Chant du poulet sous vide a reçu le prix du roman d’écologie en 2021. Est-ce que l’écologie a motivé l’écriture de votre roman ?
Mon rapport ambivalent à la communication et à la viande a motivé l’écriture. Je pense qu’il s’agit en effet d’une question écologique, même si je ne le formulais pas comme cela pendant l’écriture. Je voulais cependant traiter de nos manières de consommer, et du fait de ne pas prêter attention à la manière dont est produit de que l’on achète. Donc, une vraie question écologique je pense !
Qu’avez-vous ressenti en recevant ce prix ? Est-ce qu’il vous a fait porter un autre regard sur votre livre ?
Beaucoup de bonheur et de reconnaissance. J’ai été heureuse que le livre soit lu sous cet angle. En effet, les discussions avec le jury m’ont renvoyé à des questions du livre qui m’en ont enrichi la lecture, et c’était très précieux. Les discussions avec les étudiants de l’école du paysage de Versailles (qui font partie du jury) ont notamment été surprenantes et passionnantes : ils ont vu dans mon livre des enjeux qui m’avaient échappé.
Pensez-vous que Le Chant du poulet sous vide soit un roman écologique ?
Je pense que Le chant du poulet sous vide est un roman d’écologie en ce qu’il questionne les normes de langage du capitalisme et du marketing ; les évidences dans notre rapport à l’animal. J’avais envie de laisser la place centrale de mon livre aux animaux, d’en faire de vrais personnages, pour renverser les normes auxquels nous sommes habitués. J’ai voulu élargir le regard et questionner le lecteur sur le vivant.
Pensez-vous que l’existence de prix littéraires qui valorisent des ouvrages qui traitent directement ou indirectement d’écologie sont nécessaires pour sensibiliser les lecteurs ?
Il me semble que oui. De prix, de mise en lumière, de débats, de visibilité… Le PRE en l’occurrence a il me semble un parti-pris très intéressant, que Lucile Schmidt, Rémi Baille, Dalibor Frioux et Alexi Jenni ont évoqué avec beaucoup de justesse dans un article pour AOC : https://aoc.media/opinion/2021/04/15/entremetteur-revelateur-emancipateur-le-roman-decologie/
Je pense que pour penser l’écologie, la littérature est en tout cas absolument nécessaire, en ce qu’elle offre des contre-récits. Les discours écologiques sont souvent portés par des points de vue scientifique, or la littérature offre il me semble de nouvelles perspectives et de nouvelles possibilités de résistances.
Le thème du concours de nouvelles de Normandie Livre & Lecture cette année est « Prendre racine ». Les participants doivent évoquer l’empreinte de la nature sur l’individu en quoi elle peut ou non l’aider à se construire. Selon vous, est-ce que la nature, les volailles, ont aidé Paule, le personnage principal de votre roman (avec les poulets) à se construire, à se trouver ?
Paule a un rapport ambivalent à la nature et aux animaux. Sa principale problématique est une problématique d’origine : elle s’est construite en opposition à ses racines, à son village natal, au caractère de la mère. La grande question que lui pose son retour à la campagne est celle d’arriver à se réapproprier son identité. Elle ne parvient pas vraiment, à trouver un rapport apaisé avec ses bêtes qu’elle aime comme elle-même, tout en respectant la volonté de sa mère. Elle est prise entre deux identités, celle des origines et celle qu’elle s’est construite en ville. Et c’est pour cela que devoir tuer les poulets comme le faisait sa mère dérègle tout…
Paule semble perdue quand elle n’a plus ce contact avec ses poulets. Dans votre vie d’autrice, de scénariste, de réalisatrice, quelle place peuvent jouer les animaux, la nature ?
Pour être tout à fait honnête : très peu dans la réalité, et beaucoup dans la fiction. Je vis dans le 93, dans une cité, donc loin de la nature. Néanmoins, mon imaginaire est orienté vers la nature et l’ailleurs. Les films autant que les romans que j’écris s’y passent essentiellement. Je n’ai pas du tout le désir de fictions citadines, mais je n’ai pas non plus le fantasme d’un retour à la nature.
Je pense que si la nature a une place centrale dans mon travail, c’est qu’elle-même est à l’origine de tout, c’est même une évidence. Les villes sont construites sur la nature. Le traitement, même citadin, que l’on fait de la nature révèle beaucoup des comportements humains qui m’intéressent.
Avez-vous déjà un nouveau roman en cours d’écriture ? Si oui, les questions d’écologie y trouvent-elles une place ?
Oui, je travaille depuis plus de deux ans à un livre. C’est un livre sur le paysage et notre rapport aux machines, même si j’ai du mal à le saisir et à définir exactement ce dont il parle tant que je suis immergée dedans. Donc oui, il traite de questions d’écologie, de manière peut-être plus indirecte que Le chant du poulet sous vide. Quoique…
Par ailleurs, j’ai contribué à un livre collectif Raconter le chômage, sous la direction de Vincent Message. C’est un livre de non-fiction, et même s’il est centré sur le travail et le chômage, ces questions il me semble sont aussi liées à l’écologie.
Propos recueillis par Marion Cazy